Ce texte proposé est issu de conférences données au cours de la Caravane des Alternatives rurales et urbaines en 2020, dans diverses villes au Sénégal, au Maroc et en Espagne. Il avait pour titre : « Approches d'une économie non-violente. » Je le soumets à votre lecture en pièces détachées. En voici la première partie...remise à jour en mai 2022.
A l'indépendance de l'Inde en 1947, Gandhi a donné sa vision de l'Inde :
« Un pays avec un seul drapeau et 500 000 villages indépendants et solidaires »
Je vais commencer avec une citation de Gandhi, que désormais tous mes lecteurs finissent par connaître par cœur. « L'État représente la violence sous une forme intensifiée et organisée. L'individu a une âme, mais l'État, qui est une machine sans âme, ne peut être soustrait à la violence puisque c'est à elle qu'il doit son existence. » « La véritable indépendance ne viendra pas de la prise du pouvoir par quelques-uns, mais du pouvoir que tous auront de s'opposer aux abus de l'autorité. En d'autres termes, on devra arriver à l'indépendance en inculquant aux masses la conviction qu'elles ont la possibilité de contrôler l'exercice de l'autorité et de la tenir en respect. »
Gandhi
Democracy : Real and Deceptive, Ahmedabad, Navajivan Publishing House
Ici, Gandhi ne critique pas à proprement parler l’État dans son essence (il faudrait pour cela établir ses prérogatives essentielles et s'y tenir) mais l’État tel qu'il est dans un abus permanent de pouvoir au contenu étouffant pour les administrés. Son rôle serait de dire la Justice, de dire le Droit... Le pouvoir étant au niveau des villages, des quartiers ou autres lieux de production...
Il y a donc deux visions économiques :
L'une dont la responsabilité et le pouvoir sont au niveau de l'individu et du village ou du petit groupe qui décide pour lui-même et ceux qui l'entourent, avec l'objectif de répondre au mieux aux besoins du groupe. C'est ce que j'appelle une économie non-violente! C'est ce qui est vécu encore aujourd'hui dans l'Inde profonde, l'Afrique non urbaine et l'Amérique latine des villages plus ou moins autonomes, mais cela est en voie de disparition...
Et l'autre, dominatrice, impersonnelle, conquérante à la logique implacable qui vise les intérêt d'une oligarchie planétaire qui joue avec de l'argent fictif, mais dont les dettes pour les peuples sont bien réelles. C'est ce que j'appelle une économie de prédateurs et les outils en sont la technologie de pointe et l'informatique dont le but est de numériser, au mieux et au plus vite l'ensemble de la population, y compris dans l'intimité corporelle du citoyen !
Osera-t-on appeler cette oligarchie, une mafia légale et protégée par le droit ? Oui, on peut et je le dis. Certes, ce langage n'est pas très diplomatique, mais la langue de bois et les mensonges, ça suffit ! Ce monde qui fabrique sans cesse des miséreux doit être dénoncé, il n'aboutira qu'à un chaos !
Et c'est déjà un chaos avec guerres, troubles, terreurs, famines, migrations pour ceux qui subissent chaque jour l'humiliation de la faim, du départ forcé, du chômage dans un monde d'opulence. Le choc de la Covid19 suivi de la guerre d'Ukraine et de celles oubliées n'arrange rien. Comment accepter le vide ambiant, et le cynisme des gouvernants dont le seul but est à l'évidence le souci de rester en position de force afin de se maintenir au pouvoir ? Au fait, que peut-on attendre d'une société qui a pour fondement la peur, la menace, le profit ou encore la domination ? Est-ce un projet pour l'homme ou contre celui-ci ? Est-ce une promotion pour chacun ou l'avantage de quelques-uns ? Tout homme, toute femme, toute famille devraient se voir proposer l'opportunité de prendre leur vie en main à condition que l'accès à la terre, à un atelier, à un toit soit rendu possible, prioritaire et légitime. Ce n'est pas du tout le programme des oligarques... Mais cela est évidemment possible, il faut le vouloir.
Avant de faire la démonstration que cela est possible, je vais faire intervenir quatre textes connus par les hommes depuis quatre millénaires pour l'un et deux millénaires pour les autres ainsi que l'avis des peuples premiers, sagesse éternelle et en péril.
Le premier concerne la Guita. Il s'agit d'un commentaire de Vinoba Bhave, successeur de Gandhi, rapporté par Satish Kumar, dans son livre « Tu es, donc je suis ». (J'en profite pour dire que le célèbre « Je pense donc je suis » de Descartes est une aberration qui produit le monde moderne où le seul fait de penser justifierait d'être sa propre source et donc le droit de faire ce que l'on veut).
Dans le chapitre « Terre, âme et société », Kumar, en citant Vinoba, distingue trois éléments : Le Yajna (sacrifice rituel, don de soi), le Dâna (devoir de charité, de reconnaissance de l'autre) et le Tapas (l'austérité, sobriété). Le Yajna consiste à réparer le tort que l'Homme a causé à la Terre en lui restituant tout ou une partie de ce qu'Il lui a pris. Le cultivateur, par exemple, restitue à la Terre-Mère le compost et les éléments nutritifs. Le menuisier, lui, plantera des arbres. Éléments donc de retour et de respect après avoir pris quelque chose. Le Dâna consiste à être éveillé sur le fait qu'à notre naissance chacun est nourri et élevé par la société des humains et qu'il s'agit de rendre quelque chose en honorant et respectant nos aînés car ils nous ont transmis l'art, la culture, l'expérimentation de la vie. Enfin, il faut nourrir notre moi par des pratiques telles que méditation, étude, jeûne, repos, sommeil et le contact avec la nature, c'est le Tapas.
Sont-ce des choses enseignées actuellement dans nos systèmes éducatifs ? On enseigne surtout à prendre, à user, à consommer et à requérir des droits ! Sont-ce des choses harmonieuses, bonnes et belles ? Je ne le crois pas ! Il y a, à l'évidence, faillite totale quant au bien-être humain de la multitude. C'est parce que les autres « sont » que je me dois d'être dans le respect et ce faisant, je m'honore.
Le deuxième, « les Tentations du Christ au désert » Toujours dans cette même idée, je me permets de voyager au XVIII siècle et de citer ce philosophe russe Vladimir Soloviev, lequel s'interroge sur les tentations du Christ au désert dans les Évangiles.
Chacun connaît ces trois tentations :
La pierre transformée en pain, Les anges empêchant la chute du haut du temple, Les royaumes du monde à disposition, le tout si Jésus se prosterne devant lui, Satan,
Elles se résument dans le texte à trois verbes à l'infinitif :
« Si tu veux « avoir tout », « être tout » et « pouvoir tout », prosterne-toi devant moi » dit clairement Satan. Conséquence de l' « avoir tout », l'avidité, l’accaparement des biens et la misère qui en découle autant pour l'assoiffé d'avidité que pour ses victimes directes et indirectes. Conséquence de l' « être tout », le vedettariat immédiat et fugace qui enferme dans un donjon d'illusions sur soi-même. Conséquence du « pouvoir tout », les dictatures, les incompréhensions, les abus et les révolutions...
Et quels remèdes à ses démesures ? Il n'y en a pas sauf à refuser personnellement ou en groupe de ne pas « se laisser entrer en tentation » comme dit la traduction liturgique du texte du Notre Père. La tragédie grecque, déjà, identifiait cette démesure (l'Hubris) comme responsable des malheurs des peuples et des inconséquences et abus des dirigeants.
Vivons donc dignes, avec peu de moyens, nous ne sommes que passants et pèlerins.
Ce sera tout pour aujourd'hui, les deux autres textes pour juin 2022.
Louis Campana, mai 2022
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