Ce texte proposé est issu de conférences données au cours de la Caravane des Alternatives rurales et urbaines en 2020, dans diverses villes au Sénégal, au Maroc et en Espagne. Il avait pour titre : « Approches d'une économie non-violente. »
Cette info-lettre fait suite à celle de mai 2022 et doit être lue en conséquence.
Voici le troisième texte proposé à notre réflexion.
C'est sur base d'un commentaire du Notre Père chrétien, revu et corrigé par un exégète juif, psychanalyste et écrivain.
On pourrait l'intituler : Le Notre Père des nouveaux bourgeons et du combat pour le pain. Certainement la prière la plus dite à travers le monde, venue directement de la bouche de Jésus. Prière certainement aussi dite en araméen ou hébreu, bref la langue locale. Il est bien possible, comme le dit Pierre Trigano, que la traduction de ce texte par la Septante puis celle de Jérôme avec la Vulgate en ait dissipé la force et les intentions.
Je me base bien entendu sur le livre de cet auteur, intitulé : "Le "Notre Père", manifeste révolutionnaire de Jésus l'hébreu".
Pierre Trigano, docteur en philosophie et analyste jungien, invite tous ceux qui prononcent cette prière à saisir avec la tête, le cœur et les tripes le message inclut dans les mots araméens. Je ne saurais trop faire le parallèle avec l'action de Gandhi et de ses héritiers tout au long de sa vie et des actions menées à sa suite pour correspondre à cette prière. J'invite les lecteurs à prendre le temps de lire l'ouvrage de Pierre Trigano, moins de 100 pages et très dense. En effet le sens caché de certains mots et surtout la possibilité de les lire ces mots (naturellement sans voyelles) avec des voyelles différentes que celles utilisées habituellement, donne à ce texte une ouverture et une sagacité exceptionnelles eu égard à ce qui incombe à celui qui la récite avec conscience. Ainsi le mot "Père" peut être lu comme "abondance de procréation" ou "verdure intarissable" ou encore "jeune pousse" et "nouveaux bourgeons". Jésus "émerge il y a 2000 ans comme cette "jeune pousse", renouvellement radical de l'expérience humaine". De même le "notre" peut être lu en juxtaposition au "père" comme "en moi" : "A partir du moment, dit l'auteur, où la fondation divine de la jeune pousse est reconnue en chacun, le "nous" de la communauté dans laquelle il nous est demandé de nous engager ne peut plus être un "nous" despotique de clan ou de société totalitaire qui exigerait l'annulation du moi, de l'existence personnelle de l'individu, dans une indifférenciation générale". "Tous les hommes sont frères" rappelle Gandhi, tous nés d'un même Père, même si les lectures des hommes sont différentes, cette exigence est le devenir humain, il n'y a pas d'autre finalité que cette unicité d'origine (l'alpha) qui doit aboutir à cette connaissance ultime (l'oméga) sans laquelle toute parole est vaine car privée de plénitude dernière. Le mot "pain", en suivant les recommandations de lecture de Pierre Trigano, peut et doit (?) être traduit aussi par "combat". Le combat quotidien pour le "pain" n'est pas une possibilité, mais une exigence. Permettre à tout homme de manger chaque jour son pain nécessaire est une exigence demandée au "Père en nous qui n'exclut pas le moi". Que par la Cène instituée par Jésus le jeudi avant sa mort "transforme" le pain offert en "corps du Christ-Messie" implique combat contre la mort, le malheur de la faim et le combat des jeunes pousses privées de ressources pour grandir et s'accomplir. Il n'y a pas là d'angélisme, la prière de Jésus vers son-notre Père est un acte "révolutionnaire" qu'il nous-me demande de dire chaque jour, pour permettre le pain quotidien à tous que d'aucuns accaparent pour eux seuls ! "La terre peut satisfaire les besoins de chacun, elle ne peut satisfaire l'avidité de tous ! " citation de Gandhi. L'éthique de la "marche du sel" de Gandhi s'inscrit dans cette prière à n'en pas douter. Comment une nation peut-elle se permettre de taxer un produit indispensable à la vie ? Y a-t-il là un droit légitime ? Et celui qui va chercher son sel à la mer est mis en prison ? Qui est le civilisé ? Lorsque Rajagopal invite les sans-terre à réclamer un "pata" ou acte de propriété et leurs droits à la vie et à la terre, n'est-ce pas un combat pour le "pain", et une civilisation qui leur promet assistance financière est-elle crédible ? Où est la dignité des jeunes pousses artificiellement nourries ? C'est une offense ! Parlons-en, le texte dit : "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé !" Serait-ce une affaire morale ? Oui, mais pas que. Pierre Trigano fait remarquer que : "Le petit peuple dans lequel évolue Jésus est pressuré par les taxes et impôts que leur font subir la puissance coloniale et la caste des prêtres. Pour s'en sortir, ils sont souvent obligés d'emprunter de l'argent à des taux usuraires, et s'ils ne peuvent rembourser, ils subissent la confiscation de tous leurs biens...". Ainsi la prière de Jésus va beaucoup plus loin que la simple offense pardonnée, elle est une exigence là aussi de justice et de légitimité des dettes qui pèsent sur les petits. Les dettes des pays africains, indiens, sud-américains et autres, colonisés durant des siècles et qui ont payé les frais dus à leurs exploitations en règle se sont agrémentées de dettes sur des investissements de colonisation, signées par les oligarchies mises en place par les accapareurs, nous, peuples civilisés et "bienfaiteurs". "Remets-nous nos dettes" est ainsi une prière qui nous engage à vivre l'éthique communautaire du royaume, à porter résolument la cause des pauvres et des désespérés comme une priorité, à proclamer partout et fort que Dieu, Notre Père, exige la libération des esclaves de l’Économie (de marché) .
Le quatrième texte est issu de la pensée musulmane :
Raed Abusahlia est prêtre catholique, je l'ai interviewé en 2000, il est le chancelier du patriarcat latin de Jérusalem. Il habite le patriarcat en pleine illégalité, puisqu’il réside normalement en territoire occupé. Le patriarcat latin est installé en territoire israélien. Intellectuel et homme de foi, il s’est donné la difficile tâche de défendre une thèse sur "Violence et Non-violence dans la pensée musulmane". Un verset coranique est commun aux Chrétiens, aux Musulmans et aux Juifs : c’est le conflit entre Caïn et Abel. "Je vais te tuer !" dit Caïn. "Moi, je ne lèverai pas la main sur toi, car es mon frère", dit Abel. Et le commentaire, autorisé, de poursuivre : Caïn tue Abel, mais c’est Abel qui survit. Il est mort d’avoir refusé la violence, il est grandi. Plusieurs penseurs se basent sur ce verset pour reconnaître une pensée non-violente à l’Islam :
"Sois comme le premier fils d’Adam, (Abel)" est un vœu formulé par les musulmans. Pour Raed, les penseurs musulmans sont les premiers à avoir écrit sur la "Patience" . La "Patience" est une forme de l'économie non-violente qui face à la violence organisée offre le don de la vie et le sacrifice gratuit comme signe de victoire pour tous, y compris le violent. Caïn signifie, "J'ai acquis, je suis le plus fort", Abel signifie "l'Haleine, le souffle faible mais éternel". Traduction d'André Neher, le Qohélet, 1945.
Voici maintenant la voix d'un peuple premier, les Guaranis.
Je voudrais apporter ici, la réflexion d’Adolfo Peres Esquivel (Prix Nobel de la Paix 1980) à propos de développement. Il me parlait donc des indigènes d’Amérique du Sud, des Guaranis, auxquels il demandait comment ils comprenaient le développement, propos recueillis lors de la tournée latino-américaine en 2009 avec Ramesh Sharma et Christophe Grigri, à Missio, frontière argentino-paraguayenne, sur les vestiges d'une « réduction » guaranie. Ceux-ci lui donnèrent une leçon de chose. Entretien:
"Chez nous, le mot développement n’existe pas !" "Alors quel mot pour se comprendre ?" reprend-t-il "Chez nous il existe le mot "EQUILIBRE", équilibre avec le Cosmos, avec l’environnement, avec la Mère Terre, équilibre avec les autres, avec soi-même, avec Dieu. Et c’est cet équilibre qui est la Vie." "Et lorsque cet équilibre se rompt, alors commence la violence et ses conséquences." Notre civilisation occidentale est-elle équilibre ? N’est-elle pas violence permanente ? Violence structurelle, violence de domination, de contrôle, de menace et de profit ? Est-elle autre chose que ce qu’on appelle dans toutes les traditions religieuses le péché, ou un malheur ?
Voilà ce que l'on peut trouver dans les Écritures ou auprès de peuples anciens, à la disposition des hommes, Écritures témoins des réflexions des vivants sur leurs expériences passées, héritées et toujours actualisées... Il y en a beaucoup d'autres...
L'info-lettre de juillet aura pour but de démontrer que cela existe aujourd'hui et que ce sont les semences pour demain...
Portez-vous bien, … sans trop de moyens, mais dignement...
Louis Campana, juin 2022
Voici un lien pour une interview de Lanza del Vasto, au Canada en 1976 qui peut illustrer ces textes :