Cette info-lettre fait suite à celles de mai et juin 2022 et doivent être lues en conséquence.
Qui et où est la Source ?
En 1936, Lanza del Vasto, inquiet et sidéré par les bruits de bottes en Italie et Allemagne, se demandait vers quoi se tourner pour éviter ce qu'il pressentait comme une catastrophe mondiale. De Marseille, il se propose de rejoindre Ceylan et de là, rechercher l'homme Gandhi dont on vantait la résistance héroïque face à l'indomptable Albion, maîtresse du monde. Certains n'hésitaient pas cependant de traiter Gandhi de révolté insidieux, avec la volonté de détruire une si belle réussite coloniale, commerciale, florissante, enviée de toutes les autres nations. Aujourd'hui, on le dirait « complotiste » puisque son but était de dénoncer l'agression systématique que subissait le petit peuple indien auquel on ne reconnaissait aucun droit, sinon celui de se taire et d'obéir. Toute résistance était considérée comme inadmissible, car suspectée de placer l'intérêt personnel de l'individu indien au détriment de l'intérêt de la Couronne, « bien commun » de quelques uns. La narration de ce voyage vers cet oasis de verdure (l'ashram de Sewagram à Wardha) que venait de fonder Gandhi, fut nommée par LdV : « Le Pèlerinage aux Sources ». C'était en 1942. Ce n'est pas anodin ! Retour aux sources, à la Source est d'une importance capitale. Reconnaître implicitement que je ne suis pas ma propre source est contraire à la prétention actuelle de décider d'un avenir humain déconnecté d'une source-origine.
Mantra Gayatri des Védas hindous :
OM BHUR BHUVAH SVAHA Au cœur de l'expérience de la vie, C'est « Cela »
TAT SAVITUR VARENYAM La nature essentielle irradiant l'existence, Qui est l'adorable UN
BHARGO DEVASYA DHIMAHI Puissent tous les êtres percevoir, par un esprit subtil et méditatif
DHIYO YONAH PRACHODAYAT La splendeur de la conscience illuminée
Livre des Proverbes 16.22.
La sagesse est une source de vie pour celui qui la possède; et le châtiment des insensés, c'est leur folie.
Livre de la Sagesse 7.7-12.
Aussi j’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ;
Je ne l’ai pas comparée à la pierre la plus précieuse ; tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue.
Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas.
Tous les biens me sont venus avec elle et, par ses mains, une richesse incalculable.
Je me suis réjoui de tous ces biens, les sachant gouvernés par la Sagesse ; j’ignorais pourtant qu’elle en était aussi la mère.
Allez, soyons clairs ! Nous vivons un monde fou ! Les Grands de ce monde ont perdu la tête, ils se considèrent comme leur propre Source et décident de la vie des autres avec cette assurance que personne ne peut le contester.
Force est de voir que la philosophie de ce temps (amour de la Sagesse?) côtoie le néant à venir. Elle n'a rien d'une sagesse et s'appuie sur des sources qui ne sont rien d'autres que des éjaculations frénétiques de cerveaux déprimés, inquiets ou en quête d'un sens qui toujours leur échappe. Qu'est-ce que la conscience pour eux ? L'existentialisme de Sartre est l'évacuation pure et simple d'une source-origine laquelle, exclue, est donc uniquement remplacée par ce que je veux et peux faire de ma vie sans aucune dépendance extérieure. Voici un résumé de la pensée sartrienne et ses limites intrinsèques :
Le Pour-soi comme manque, et donc comme tâche, se révèle dans la temporalité. En effet, le pour-soi n'est pas identique à son passé ni son avenir. Il n'est déjà plus ce qu'il était, et il n'est pas encore ce qu'il sera : grâce au temps, l’homme ne coïncide jamais avec lui-même. Sartre décrit les extases temporelles (passé/présent/futur) :
– le passé correspond à la facticité d'une vie humaine qui ne peut pas choisir ce qui est déjà passé. Le passé est ce que j'ai à être, mais en même temps, je ne le suis pas car je l'ai dépassé. Le passé est toujours reprise et dépassement.
– le présent n'existe pas réellement car il est une fuite vers le futur. L'exemple de la cigarette est parlant : je veux fumer une cigarette, je suis projet, au futur, de l'allumer.
– Le futur, lui, ouvre des possibilités pour la liberté du pour-soi. Mais la liberté et la facticité forment une incohérence au sein du Pour-soi, génératrice d’instabilité. Sartre reprend la conception heideggérienne : l'homme est un “être des lointains”, il n'est pas, il se possibilise. C'est donc le futur qui constitue la temporalité majeure du Pour-Soi.
Site « La-Philo » « L'être et le néant ».
L'étude reconnaît cette incohérence et l'instabilité qu'elle procure, cependant je ne m'aventurerais pas à critiquer outre mesure cette synthèse vu que c'est un possible, une expérience de vie (selon le mantra!) mais pourquoi ne pas la concilier avec une source divine qui se veut totalement liberté ?
J'y reviendrai plus tard, mais la politique s'est emparé de cette pensée, les prises de positions contemporaines sur le droit à l'avortement, les théories de genre, le suicide assisté, la grossesse pour autrui sont autant de possibilités d'incohérence et d'instabilité de notre société dus à cette pensée.
Pour en revenir à notre texte sur la dignité et l'élégance à poursuivre sans trop de moyens, voici quelques exemples d'hier ou d'aujourd'hui à travers le monde illustrant les bienfaits de combats pour l'Humanité...pour une recherche de cohérence et de stabilité sociale, affective et une bonne santé...
Je citerai en premier les Actes des Apôtres comme source de communautés vivantes où le partage et la communion des membres sont l'origine de la civilisation judéo-chrétienne actuelle, mais aussi ses travers, notamment le besoin permanent d'un pouvoir temporel, financier et une propagande cadrée et exclusive. Je suis un catholique romain, mais pas aveugle...
Autre tentative intéressante : Les réductions Guarani au Paraguay-Argentine-Brésil. Le film Mission de Roland Joffé en relate un historique des faits. Il serait vain de discourir sur les bénéfices tirés pour les autochtones qui sont certains, mais l'évangélisation forcée des Jésuites à leur égard pose problème. Cependant bel exemple d'autonomie locale avec développement de l'agriculture, des artisanats, cultures musicale et alphabétisation totale. S'informer sur internet.
Ensuite :
La marche des Gueux...
J'ai vu un peuple se lever. Je l'ai vu se mettre debout. Adivasi, c'est-à-dire des tribaux des forêts de l'Inde, Intouchables, paysans sans terre, gens méprisés, battus, mis en prison, délocalisés, réfugiés de l'intérieur, bref des sans-droits. Je les ai vus se mettre en route, en marche pour exprimer leurs droits sur l'autoroute des riches, sans haine, sans mépris, mais avec la détermination de ceux qui n'ont plus rien à perdre parce que leur cas était désespéré. Ils étaient prêts à mourir. Je les ai vus, vieillards, femmes amaigries, enfants rieurs, souffrir sur la route durant un mois, avec un seul repas par jour, j'ai vu leur fatigue mais aussi leurs chants, leurs danses, leur force de vie. Le seul fait d'être debout devant l'autorité est déjà une victoire ! Un homme, depuis trente ans, leur dit que ce n'est pas le karma qui est la cause de leur vie de misère, mais l'action des hommes qui les prive de plus en plus de leurs forêts, de leurs terres ancestrales convoitées par les puissants, pour les puissances touristiques en mal d'exotisme, pour les usines de productions auxquelles ils n'ont pas droit. Même l'eau leur est soustraite pour permettre à des compagnies privées de vendre l'eau en bouteille ou la transformer en boissons gazeuses aseptisées. Cet homme, c'est Rajagopal, un gandhien.
Un film a été proposé aux occidentaux, disponible actuellement en quatre langues : "La marche des gueux, la force libératrice de la non-violence" www.association-shanti.org
Du coup, une question : Quel serait l'avantage pour ces populations de rentrer dans une réflexion concernant leur existence sachant que leur capacité à l'autonomie est rendue nulle de par l'activité d'un monde globalisé ? Combien plus sur leur possibilité de destin existentialiste à la mode Sartrienne ?
Sarvodaya Shramadana...
J'ai vu, dans un pays ravagé par la guerre civile, le Sri Lanka, des milliers de villages s'organiser pour une autonomie alimentaire, économique, sociale, marquée par l’Éveil, terme bouddhiste, signifiant la conscience de soi, et la nécessité fondamentale d'être des femmes et des hommes debout, responsables de leur propre vie. Là encore un homme de cœur, Aryaratné, travaille depuis cinquante ans à proposer aux villageois des formes juridiques de républiques villageoises agréées par le droit local. Ainsi actuellement 15 000 villages sur les 34 000 qui composent le Sri Lanka sont en voie d'autonomie régie par le statut de républiques villageoises. Plus de 3000 ont atteints le stade d'une autonomie complète. Ce statut permet à chaque village de faire ses choix en matière de souveraineté alimentaire, de décision sur l'aménagement du territoire, routes, adduction d'eau, électrification, écoles, services de santé. La conséquence est l’Éveil spirituel de la population, l’attention philosophique de la responsabilité de chacun sur sa propre vie et la solidarité que cela impose. Ce mouvement se nomme "Sarvodaya Shramadana", ce qui signifie "l’Éveil de tous par le travail partagé".
Un film aussi a été réalisé sur cette expérience lumineuse. "Sarvodaya, Shramadana, vers une économie non-violente" www.association-shanti.org
Autre question : est-il vain pour ces gens de condition modeste d'être introduits dans une démarche spirituelle d’Éveil ? L'En-soi et le Pour-soi de Sartre envoyés au néant (puisque c'est le fond de l'analyse) par l’Éveil à Soi comme source de félicité.
Anandwan, la forêt de la Joie...
J'ai vu les plus misérables des femmes et des hommes, les parias des parias, les lépreux, défigurés, handicapés, tordus par la lèpre, avec leurs moignons, se mettre debout à l'appel d'un homme de cœur qui leur a dit "la Force est entre nos mains". C'était en 1949, un an après l'assassinat de Gandhi. Et cet homme, Baba Amté, est devenu le père social, spirituel, économique de milliers de lépreux. Ensemble ils ont développé plus de soixante activités différentes, ateliers d'artisanats, activités agricoles multiples pour une consommation locale, de transformations des productions, de constructions d'habitat, de services informatiques, d'éducation, et petit à petit, ces miséreux sont devenus "riches", c'est-à-dire autonomes, indépendants financièrement. Son slogan : "La Force est entre nos mains !" Quand on connaît ce que sont les mains des lépreux, des moignons, c'est dire le courage qu'il a insufflé dans leurs cœurs...Cet état d'esprit s'installant, il leur a dit: "Le bonheur se meurt s'il n'est pas partagé" et tous les lépreux ont compris le message, et ont ouvert leurs ateliers à tous ceux qui avaient des handicaps, sourds, aveugles, poliomyélitiques, etc... Leur principale activité : être heureux et rendre heureux ! Aujourd'hui, il y a 27 sites différents, le plus important rassemble 4 000 personnes dont 3 000 lépreux, il s'appelle Anandwan, "La forêt joyeuse". J'en ai fait un film :
Les trois personnages cités plus haut, Baba Amté, Ariyaratné et Rajagopal, sont allés puiser auprès de Gandhi une source d'inspiration pour les maux de notre temps.
Ajouterais-je que le monde qu'on nous promet hyper-numérisé et digitalisé (puisque l'Homme devient le seul maître de son destin) n'a rien à voir avec les exemples cités au-dessus puisque ces artisans de pâtes humaines ont privilégié la dignité de la personne, sa responsabilité d'autonomie et sa richesse spirituelle intrinsèque. Mais ce n'est pas la fin de l'histoire, il y a là aussi pas mal de problèmes, c'est notre condition humaine...que de rechercher la Source inaltérable...et éviter le Néant !
Louis Campana, juillet 2022
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