Tout fleuve a sa source, ses confluences, son delta qu'il partage parfois avec d'autres fleuves qui ont leurs propres sources et confluences. Tous se retrouvent dans l'océan, lequel par l'évaporation reconstitue et distribue les eaux indispensables aux sources...
Tout ouragan a ses causes, celui des océans en fièvre tout comme ceux d'une civilisation assaillie par l'esprit de conquête, de profit, de puissance...
Conscient du danger que représente cet esprit destructeur, en 1933, Lanza del Vasto part en solitaire et en mendiant de Rome à Bari. Il va à la recherche de la source. Il écrit alors durant ce périple le début des « Principes et préceptes du retour à l'évidence », et décide d'un voyage sans retour en Inde auprès de celui qu'il pressent comme « une oasis de verdure et de paix ». J'ai nommé Gandhi.
Sur les pentes de l'Himalaya, il termine ce recueil de poésie parfumé de renoncement sacré et volontaire. Entre-temps, en voyageant, il étudie la Guita, les Vedas, les Upanishads tout autant que les religions annexes de l'Inde tel le Jaïnisme. Il se penche aussi sur le Sanscrit, ancêtre des langues indo-européennes, et s'ouvre aux interprétations diversifiées des sources de la non-violence...
« Le Pèlerinage aux Sources » est le livre publié en 1943, en pleine guerre mondiale qui relate les dix huit mois en Inde. Il connaît un succès inattendu. « Les Approches de la vie intérieure », 1962, sont le reflet de ses expériences avec des maîtres hindous et jaïns auxquels il se confronte avec ses propres racines judéo-chrétiennes. Il restera un catholique romain toute sa vie.
Le mariage avec Chanterelle en 1948 est l'occasion de fonder la première communauté de l'Arche. Elle s'installe tant bien que mal ici ou là, sans réelle possibilité de s'étendre ou de fonctionner. Les premiers membres sont des chercheurs de sens et des accoucheurs d'idées.
A Tourelles-sur-Loup, où la communauté semble se stabiliser au milieu des années 1950, Lanza del Vasto se propose de rejoindre Vinôbâ Bhave (1954) lequel marche à travers toute l'Inde pour recueillir des terres pour les plus pauvres, sans-terre et affamés. C'est le Bhou-Dane ou le don de la Terre. A son retour en France, suite à cette expérience unique, Lanza del Vasto publie « Vinôbâ ou le nouveau pèlerinage ». C'est le livre qui m'a fait cesser toute activité pour rejoindre l'Arche en 1970. J'avais 24 ans.
En ces temps tout proches et suite au Bhou-Dane, étaient publiés « les quatre fléaux » (1959) critique de la société moderne. Dans le travail de fond de cet ouvrage, il se confronte à une thèse (1925) sur les corporations au Moyen-Age que son ami Acquaviva, (inscrit en faculté de droit à Pise mais qui préférait la peinture), devait soutenir. En bon ami, Lanza del Vasto avait rédigé pour lui cette thèse et ainsi étudié le droit lequel portait sur le fondement de l'éthique et du droit. Cet ouvrage en est la quintessence.
Tout étant recherche de beauté et de sens dans la vie des époux Lanza, ces ouvrages laissent place à la ciselure, au chant, au théâtre, à la création artistique, à l'expérimentation communautaire. Tout y est cohérence et beauté, le travail comme une fête, la fête comme un travail sacré. J'y vis huit années de suite, sans un sou en poche, libre et stupéfait de cette réalité d'un autre monde possible jusqu'alors utopie. Ces temps furent l'occasion de se confronter à soi-même, de guérison intérieure, de paix et d'une force secrète à déplacer les fausses urgences et les stéréotypes d'une société malade noyée de stress, de vitesse et de valeurs imposées mais fallacieuses.
Toujours par monts ou par vaux, Shantidas (nom donné à Lanza del Vasto par Gandhi) parcourt l'Europe pour témoigner de la non-violence gandhienne holistique. Des actions précises se déploient. Face à l'arbitraire des rafles durant la guerre d’Algérie, s'initient des mouvements de solidarité avec les Algériens de France emprisonnés et la place de la Concorde à Paris est le lieu de manifestations où des compagnons et amis de l'Arche enchaînés réclament le droit à aller en prison, « Nous aussi sommes suspects » disent-ils aux gendarmes chargés de nettoyer l'hexagone de suspects aux faciès non conformes !
On pourra aussi rechercher les actions menées comme les centrales nucléaires et le refus de la bombe dès les années 1960. L'ouvrage court intitulé « De la Bombe » et imprimé par les soins de l'imprimerie de l'Arche se conclut par ces mots :
« Voilà le rôle de premier plan que la France peut tenir. Va-t-elle déserter, passer du côté des Grands, pot de terre contre deux pots de fer, susciter les défiances et les haines de toutes parts, se précipiter dans les travaux, les déboires et les dangers, à seule fin de revendiquer le droit d'avoir part à la Grande Destruction ? Ou bien va-t-elle se montrer assez intelligente, assez libre, assez courageuse pour assumer cette mission qui la fera louer et bénir par le monde entier et les générations à venir »
On sait que la France a choisi la Bombe comme menace permanente, menant volontairement le peuple vers un holocauste certain...
Des communautés nouvelles fleurissent, initiatives des uns ou des autres, acceptées par le chapitre. L'une urbaine, à Villeneuve près de Grenoble, n'a pas l'assentiment du Pèlerin. Jo Pyronnet avoue se trouver devant un mur d'incompréhension de la part de Shantidas. Cependant la rupture est consommée, douloureuse... Jo, à la mort de son épouse, demande le sacerdoce dans l’Église catholique. Dès son ordination et avant sa mort, il se déclare prêtre gandhien et disciple de Lanza del Vasto.
Ce sont les années où on reproche à Lanza del Vasto d'être passéiste. Pourtant, il est le premier à lancer les alertes sur l'écologie, sur les dérives du progrès fou et ses conséquences. Le premier à pointer le péril nucléaire, nous l'avons déjà signalé, comme outil de destruction massive mais surtout d'une politique sans vision et enfermée à l'étroit dans une idéologie militaro-industrielle funeste. Il dénonce, à la suite de Gandhi, une civilisation de la peur de l'autre, de la menace, du profit et de la domination, tant sur les plans des relations humaines que celui des grands enjeux géopolitiques. Il combat avec les paysans du Larzac menacés de perdre leurs terres pour une extension d'un camp militaire. Il proposera un jeûne, prologue qui les rendra victorieux dix années plus tard... Il interroge ses contemporains sur les escalades de violences dues aux compétitions exacerbées entre grandes puissances et propose le redéploiement de petites unités de vie apaisées, sobres, ralenties et attentives à la place et au rôle du plus petit.
Toute rotation du rouet est une révolution ! Tout arbre planté est une révolution ! Tout jardin potager est une révolution ! Tout ce qui est petit, sobre, lent, local, amical est bon, beau et sensé.
N'est-ce pas la tendance actuelle de ceux qui ont compris que la globalisation des marchés financiers, la puissance des grands groupes de distribution, le jeu des lobbyistes dans les milieux politiques étouffés sont des machines folles qui broient l'humain?
Cela, Lanza del Vasto l'annonce déjà en 1960. A ces illusions de puissance, il rappelle le retour sur soi, la maîtrise de soi, l'amour de l'autre comme conditions nécessaires au bonheur.
« La Trinité spirituelle », dernier ouvrage paru en 1971, s'achève sur une méditation védique :
Par qui lancée atteint-elle son but l'intelligence ? Qui ? Le primordial souffle de vie, qui l'attela ? Par qui lancés ces mots que je vais prononçant ? L'oreille et l’œil, quel dieu les a mis à l'ouvrage ? Ouïe de l’ouïe, pensée de la pensée, oui : Cela ! ...
Risquons un pas de plus dans le chemin des certitudes mystérieuses : J'aime, donc Tu es !
Shantidas retournera en Inde en 1977, en octobre. Il fut reçu à Delhi à la Gandhi Peace Foundation, puis ira à Wardha, plantera un arbre au Musée de l'Artisanat et des Arts ruraux, visitera Vinobâ, alors presque sourd, à Paunar. A Ahmedabad, il prononcera trois conférences en anglais au Vidyapith, l'Université gandhienne... On le retrouve en Australie et au Japon en 1980.
Merci à Siby Joseph, doyen de l'Institut d’Études Gandhiennes de Wardha, de proposer ce livre sur la figure désormais illustre de Lanza del Vasto, dit Shantidas.
Celui-ci mourra en 1981, la veille de l’Épiphanie.
Mes enfants, quand j'aurai rendu l'âme, Couchez-moi de côté dans la tombe, Liez bien la sandale à mon pied, Mettez bien le bâton dans mon poing, Car je veux être prêt au lever, Quand viendra Celui qui doit venir. (La Marche des Rois, LdV)
Tout fleuve a sa source... Tout ouragan a ses causes...
Louis Campana, le 30 septembre 2022
PS, je joins le code-barre associé à ce livre :
_______________________
... et n'oubliez pas : vos adhésions sont notre force !